jeudi 17 octobre 2019

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al-Baqara
ثُمَّ أَنْتُمْ هَٰٓؤُلَآءِ تَقْتُلُونَ أَنْفُسَكُمْ وَتُخْرِجُونَ فَرِيقًا مِنْكُمْ مِنْ دِيَارِهِمْ تَظَاهَرُونَ عَلَيْهِمْ بِالْإِثْمِ وَالْعُدْوَانِ وَإِنْ يَأْتُوكُمْ أُسَارَىٰ تُفَادُوهُمْ وَهُوَ مُحَرَّمٌ عَلَيْكُمْ إِخْرَاجُهُمْ أَفَتُؤْمِنُونَ بِبَعْضِ الْكِتَابِ وَتَكْفُرُونَ بِبَعْضٍ فَمَا جَزَآءُ مَنْ يَفْعَلُ ذَٰلِكَ مِنْكُمْ إِلَّا خِزْيٌ فِي الْحَيَاةِ الدُّنْيَا وَيَوْمَ الْقِيَامَةِ يُرَدُّونَ إِلَىٰٓ أَشَدِّ الْعَذَابِ وَمَا اللَّهُ بِغَافِلٍ عَمَّا تَعْمَلُونَ 85
Quoique ainsi engagés, voilà que vous vous entre-tuez, que vous expulsez de leurs maisons une partie d´entre vous contre qui vous prêtez main forte par péché et agression. Mais quelle contradiction ! Si vos coreligionnaires vous viennent captifs vous les rançonnez alors qu´il vous était interdit de les expulser (de chez eux). Croyez-vous donc en une partie du Livre et rejetez-vous le reste ? Ceux d´entre vous qui agissent de la sorte ne méritent que l´ignominie dans cette vie, et au Jour de la Résurrection ils serons refoulés au plus dur châtiment, et Allah n´est pas inattentif à ce que vous faites .

mercredi 8 mai 2019

Boris Sloutsky (1919-1986)

Blessé puis contusionné, Boris Sloutsky a néanmoins survécu à la guerre et à Staline.

Mon maître ne m'aimait pas,
Ne me connaissait pas, ne m'entendait pas et ne me voyait pas,
Mais tout de même il me craignait comme le feu,
Et sombrement me haïssait.
Il lui semblait que je pleurais pour de faux.
Quand près de lui je baissais la tête,
Il lui semblait que je cachais un ricanement.
Toute ma vie j'ai travaillé pour lui,
Me couchant tard, me levant tôt.
Je l'aimais. Pour lui j'ai été blessé.
Mais cela ne m'a pas aidé.
Je portais sur moi son portrait.
Je l'installais dans la tranchée et dans la tente,
Je regardais, je regardais,
Je ne me fatiguais pas de regarder.
Et chaque année, ce désamour
M'offensait de plus en plus rarement.
Et aujourd'hui mon humeur n'est plus gâchée
Par ce fait évident, que depuis la nuit des temps,
Ceux comme moi, les maîtres ne les aiment pas.

*

Les juifs ne sèment pas le blé,
Les juifs commercent dans leur boutique,
Les juifs sont chauves plus tôt,
Les juifs mentent plus souvent.
Les juifs sont des gens méchants,
Ils sont de mauvais soldats :
Ivan se bat dans les tranchées,
Abraham fait ses petits marchés.
J'entends cela depuis l'enfance,
Bientôt je serai tout à fait vieux,
Mais nulle part je n'y échappe,
A ce cri : "les juifs, les juifs !"
N'ayant jamais marchandé,
N'ayant jamais rien volé,
Je porte en moi comme un virus
Cette race maudite.
La balle m'a épargné
Pour que l'on dise sans mentir :
"Les juifs ne se faisaient pas tuer !
Ils sont tous revenus vivants !"

*
 
Nous avancions tous sous un Dieu.
Près de Dieu, tout contre lui.
Il ne vivait pas dans un ciel éloigné,
on le voyait parfois
vivant. Sur le mausolée.
Il était plus malin et méchant
Que l'autre dieu, différent,
ayant pour nom Jéhovah,
qu'il avait détrôné.
Il tourmentait, mettait sur les charbons ardents,
Puis retirait de l'abîme
Et donnait une table et un coin.

*

Au tout début de l'ère Brejnev:

"Le vent est tombé, qui tournait
Les pages de l'histoire mondiale.
Une sorte de pause s'est installée,
Comme un entracte au conservatoire.
Pas de mélodie. Pas d'harmonie.
Tous se précipitent vers le buffet."

dimanche 5 mai 2019

Alexandre Fadeyev

Pas sûr que je le lirai : Alexandre Fadeyev, dirigeant de l'Union des écrivains d'URSS sous Staline, suicidé en 1956, en pleine déstalinisation donc. Apparemment c'était lui l'aboyeur officiel qui en 1948 avait traité Sartre de "hyène dactylographe" et de "chacal muni d'un stylo".

Il est facile de voir dans ces petits procureurs des individus veules et intéressés. Au début je me suis dit que celui-ci avait la Vraie Foi. L'un n'empêche pas l'autre, au contraire. Mais la réalité est un petit peu plus compliquée. La zone grise est immense, une sorte de crépuscule moral où victimes et bourreaux se confondent. Tous ne se valent pas, certains se compromettent bien plus volontiers et plus gravement que d'autres, mais tous sont les marionnettes humiliées d'un système qui les déshumanise.

Dans sa lettre de suicide, Fadeyev, alcoolique et tourmenté par sa conscience, s'en prend autant à Staline et aux staliniens qui ont exterminé et terrorisé la fleur de la littérature soviétique qu'aux nouveaux dirigeants qu'il juge ignares et arrogants. (Cette lettre n'a été publiée qu'en 1990.)

Plus je creuse, plus c'est étrange, comme toute cette époque atroce. En 1946, Fadeyev condamne publiquement Pasternak pour "idéalisme" etc. Plus tard, dans un café, face à l'écrivain Ilya Ehrenbourg, en privé pour ainsi dire, il se met à réciter des vers de Pasternak à n'en plus finir. Fadeyev l'officiel a plusieurs fois condamné Pasternak. Lui-même, Fadeyev, est la cible d'attaques violentes pour son manque d' "esprit de parti" et doit réécrire un roman dans un sens plus conforme.

Pasternak : « Fadeyev me traite bien en personne, mais si on lui ordonne de m'écarteler, il le fera consciencieusement et le rapportera gaiement, bien que plus tard, quand il sera de nouveau saoul, il dira qu’il est vraiment désolé pour moi et que j’étais une très bonne personne. »

Après le suicide de Fadeiev en 56, Pasternak a écrit le poème suivant (ma mauvaise traduction) :

Le culte de la personnalité est éclaboussé de boue,
Mais dans la quarantième année,
Le culte du mal et le culte de l'homogénéité
Sont encore en cours.

Et chaque jour apporte stupidement,
Au point que c'en est insupportable,
Des photos de groupe
Ne montrant que des gueules porcines.

Et le culte de la perfidie et du philistinisme
Est toujours autant à l'honneur,
Si bien qu'on se suicide d'ivrognerie,
Ne pouvant plus supporter ça.


https://arzamas.academy/materials/375
http://murders.ru/lenta_068.html

jeudi 25 avril 2019

La mort de Staline

Qu'est-ce que Staline ? Pour le présenter à mon beau-fils, je lui montre ces photos retouchées sur lesquelles ses collaborateurs disparaissent les uns après les autres ; et puis, une vidéo de l'un de ses discours, avec des applaudissements interminables, un enthousiasme fiévreux, personne dans l'assistance n'osant prendre le risque d'être le moins fervent.

Moins ouvertement hystérique qu'un Hitler, en apparence plus roublard et bon vivant, Staline semble avoir été peut-être encore plus paranoïaque et narcissique que son ennemi préféré. Difficile de distinguer le mythe de la réalité ; la mémoire est trompeuse, et puis, les témoins de sa vie n’étaient pas eux-même d’une honnêteté irréprochable…

Il semble avoir réellement cru aux histoires d'espions américains ou anglais ou japonais qu'il inventait constamment pour perdre ses plus proches collaborateurs. Quand ses proches expriment l'ombre d'un doute face aux accusations qu'il lance, il les traite de naïfs. « De vrais chatons. Sans moi, les impérialistes vont vous manger tout crus... »

Déjà dans les années 30, il avait demandé à l'un de ses médecins : « Docteur, dites-moi franchement... Soyez simplement honnête... Vous n'avez pas envie de m'empoisonner parfois ? » Puis, voyant l'air décomposé de l'autre : « Je sais, vous êtes un homme timide, faible, vous ne le ferez jamais. Mais j'ai des ennemis qui sont capables de le faire. »

A la fin de sa vie, il a fait le vide autour de lui. Sa femme s'est suicidée, son fils, prisonnier des Allemands, s'est arrangé pour se faire tuer. Ne supportant pas la solitude, le Chef passe ses soirées en "réunions" ou plutôt en banquets, au cours desquels il se goinfre. Il exige que tous ses compagnons soient ivres. Il aime la grosse gaîté, les blagues ; il ne peut pas supporter qu'un membre de l'assistance reste sombre, songeur, perdu en lui-même. Il ne supporte pas l'idée qu'on puisse lui cacher quoi que ce soit.

Il dit à qui l'entendre qu'il est vieux ; il propose de démissionner, insiste pour quitter son poste. Pas fous, ses proches se récrient, le supplient de rester ; invariablement, il finit par céder à leurs demandes, avec résignation. C'est évidemment du cabotinage, une coquetterie mortelle. Parfois il se lève de table, fait mine de sortir, mais reste à la porte à écouter si on ne dit pas du mal de lui. Là encore, ses compagnons ne sont pas dupes.

Un soir il joue au billard avec un ministre, celui-ci gagne trois parties de suite. Staline le regarde avec sévérité et lui dit : « Vous vous occupez mal de la construction. » Le ministre se trouble, il se voit déjà fusillé ; il commence à perdre. Staline conclut : « Vous vous occupez mal de la construction, et vous ne savez pas jouer au billard. »

En 1945, les médias étrangers encensent Molotov, officiellement le numéro 2 du régime, qui leur promet un adoucissement de la censure. Molotov est vu comme un successeur potentiel. Cela met Staline en rage. Molotov doit s'excuser de ses "erreurs", tombe en semi-disgrâce. Plus tard, fin 1949, son épouse est humiliée, condamnée à l'exil en Sibérie, pour ses contacts avec des "nationalistes sionistes". Molotov sait que c'est lui qu'on vise. Toujours installé au Kremlin, Molotov a toujours ses portraits un peu partout dans le pays ; on renomme des villes à son nom. Mais en réalité il est placardisé, les décisions se font sans lui. Il ne voit plus jamais Staline. Il n'a jamais osé dire un mot en faveur de sa femme. Tout seul dans son bureau, il lit le journal toute la journée, en attendant le jour où on viendra l'arrêter à son tour. Staline semble réellement persuadé que Molotov est un espion à la solde de l'étranger. Pourquoi ? Parce que. Il l'a décidé, c'est donc vrai.

Un jour Staline invite un jeune camrade au Kremlin. Tous les dix mètres il y a un garde. « Vous ne trouvez pas cette vie ennuyeuse ? » finit par demander le visiteur. « -- Ennuyeux, pourquoi ? -- A chaque coin de couloir... -- C'est ennuyeux pour vous, ce n'est pas ennuyeux pour moi. Je les regarde, et je me demande lequel va me tirer une balle dans la nuque. »

Sur la fin de sa vie, Staline s'intéresse de moins en moins aux affaires courantes. Il sait encore éliminer et remplacer les cadres pour les maintenir dans la peur. Les apparatchiks dépendent entièrement de lui, sont obnubilés par le jeu de chaises musicales, ne prennent aucune initiative. Il n'y a plus personne pour prendre des décisions.

Khouchtchev et Mikoyan sont invités à passer des vacances avec Staline au bord de la mer Noire, non loin de Sotchi. Vacances peu agréables : les deux visiteurs se lèvent tôt, se promènent, attendent que leur hôte se lève. Un jour il les voit passer sans leur témoigner une once d'intérêt, et parle soudain, les yeux dans le vide. « Je suis un homme fichu. Je ne fais confiance à personne. Je ne me fais même pas confiance à moi-même. » Interloqués, ils ne trouvent rien à lui répondre. De toute façon, il se parlait à lui-même.

Staline meurt le 5 mars 1953. Personne parmi les gardes et les domestiques n'a osé le déranger dans sa chambre quand il ne s'est pas levé comme d'habitude ; personne parmi les membres les plus hauts placés du Parti n'a osé prendre seul l'initiative d'appeler les médecins. Staline a créé un système qui a fini par le détruire, après avoir détruit des millions d'autres vies.