dimanche 19 juillet 2020

Bourge Privilège

Comme beaucoup de gens, je suis un peu trop intéressé par les questions d'origine, de couleur et d'identité qui prennent tant de bande passante dans les médias, notamment aux US, mais aussi de plus en plus ici en France. Je commence à me dire que cet intérêt, au-delà d'un certain point, ne va pas faire de nous des gens meilleurs, juste plus flippés et centrés sur les mauvaises choses. Je vais m'efforcer de limiter ma consommation et mes petits commentaires sur le sujet.

Néanmoins, des choses m'agacent dans le mouvement actuel, aussi bien intentionné soit-il. Par exemple, cet article d'une institution US, qui cite une universitaire blanche, Peggy McIntosh, sur la question du "privilège blanc". Il est remarquable que cette dame n'y parle que de blanchitude, et pas du tout d'argent ou de situation sociale. Or, une partie des "privilèges" qu'elle liste sont du "privilège bourge", de façon criante. Prétendre qu'ils sont typiques des blancs en général, c'est ignorer tout bonnement une large part de la population blanche, particulièrement les blancs les plus pauves, peu éduqués, peu connectés, ceux qui ne peuvent même pas rêver de certains "privilèges" évoqués par cette dame. Je pense à ces gens propres sur eux qui vont se faire arracher les dents par un organisme caritatif, parce que ça coûte trop cher de les faire réparer chez le dentiste. On escamote la question sociale en mettant l'accent sur la race, au risque de favoriser le vote Trump ou Le Pen. On obscurcit la potentielle communauté d'intérêts des classes défavorisées, leur communauté de destin, qu'elles soient blanches, noires ou vertes. On n'avance pas la communauté d'intérêts de la nation, les classes favorisées devant prendre en compte les besoins des classes défavorisées (blanches, brunes, noires ou vertes) si elles ne veulent pas que ça leur retombe méchamment sur la gueule un jour.

Sérieusement, si moi-même je trouve certains de ces "privilèges" ridicules et un peu énervants, qu'en dira un blanc pauvre qui ne peut choisir ni sa situation, ni sa vie, et qui n'a pas voix au chapitre ? Quelques-uns dans sa liste :

"Si je le souhaite, je peux m'arranger pour être en compagnie de ma race la plupart du temps."
Cela n'est pas vrai pour beaucoup de gens blancs ou non, et heureusement ! Je pense notamment à l'effet bénéfique du travail. Un collègue est un collègue, un client est un client, et malheur au trouduc qui se permettrait de chipoter sur la couleur de peau d'un collègue ou d'un client. Cette obligation pratique de se mêler à autrui est d'autant plus nécessaire pour des gens dépourvus des revenus et des réseaux qui leur permettraient d'être regardants sur leur lieu de vie et de travail. Mais elle est valable pour la majorité d'entre nous, et c'est très bien.

"Je peux éviter de passer du temps avec des gens dont j'ai appris à me méfier, et qui ont appris à se méfier de moi ou des gens comme moi."
Un pauvre, blanc ou non, peut être aussi parano qu'il veut, il ne choisira pas forcément pour autant où il vit et avec qui il vit. Il vivra en HLM ou dans un quartier pas cher. S'il n'aime pas ses voisins, ou si ses voisins ne l'aiment pas, tant pis pour lui, c'est pour sa pomme. 
"Si je devais déménager, je peux être sûre de louer ou d'acheter un logement dans une zone que je peux me permettre et dans laquelle je voudrais vivre." 
Mais dans quel monde elle vit ? Elle a déjà vu un SDF ? Pas de commentaire. 
"Si je veux, je peux être sûre de trouver un éditeur pour cet article sur le privilège blanc."
Parle pour toi ma grosse ! N'importe quoi. Tu crois que le mec en HLM, blanc ou pas, avec son bac pro en poche et trois ans de chômage derrière lui, va trouver un éditeur pour ses opinions ? Le bar PMU à la rigueur, le seul endroit où il sera écouté. Au-delà de ses potes du bar PMU, ce type est invisible, tout le monde s'en fout de ce qu'il a à dire sur Le Pen ou l'immigration. C'est peut-être bien, peut-être pas, parce que ce type (éduqué ou pas) a sa vie, son expérience vécue, et qu'il faudrait peut-être que quelqu'un l'écoute un peu. Bon, même moi, petit bourgeois, je radote largement dans mon coin et tout le monde s'en fiche. Seule une poignée de gens peuvent trouver une audience pour leurs radotages, et en plus gagner de l'argent avec leurs radotages.
Voilà. Je trouve que quelque chose n'est pas d'aplomb si on ne parle que de blancheur. Ces histoires d'origines et de couleurs doivent s'articuler avec la question sociale, qui est celle du capital individuel: capital financier (le fric), capital relationnel (le réseau), capital intellectuel (l'éducation). Un type peut être mal parti dans sa vie parce que ses ancêtres étaient esclaves, ou parce qu'il a dû quitter son pays, ou encore parce que ses parents étaient des connards irresponsables. Dans tous les cas, l'important c'est qu'il puisse s'en sortir. Une politique sociale "color blind" tendant la main à ceux à qui ce capital fait défaut, ne résoudrait pas tout et pourrait louper des spécificités liées à l'histoire des relations dites raciales. Mais je soupçonne qu'une telle politique ferait concrètement plus de bien que tout le baratin sur l'identité et la couleur de peau.  

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