dimanche 4 janvier 2009

Soufismes - 3

L'islamisation du sous-continent indien a commencé au XIIIè siècle, peu après la conquète de Delhi par une armée d'Afghans de langue persane. Une puissante confrérie soufie, celle de Chisti, s'est alors répandue dans toute l'Inde du Nord. Les disciples de Chisti, pèlerins et poètes, pratiquaient la pauvreté, rejetaient leurs familles et méprisaient les puissants. "Pourquoi dois-tu entrer dans les demeures des émirs et des sultans ? Tu marches dans les pas de Satan !" Sous leur influence, des hindous des basses castes se sont convertis à l'Islam pour échapper à leur naissance. Les femmes, partout très présentes dans le soufisme, étaient également bienvenues. Surtout, les Chisti acceptaient des non-musulmans comme initiés. Cela a donné le ton d'une cohabitation étonnamment harmonieuse entre musulmans et hindous dans le sous-continent ; celle-ci continue aujourd'hui, même si elle est durement mise à l'épreuve.

Musulmans et hindous, sunnites et chiites, adorent le même saint dans le même sanctuaire. Qalandar n'appartenait pas vraiment à un ordre, mais à la tradition des soufis excentriques, vivant de mendicité. Il était fortement influencé par l'hindouisme ; beaucoup d'hindous le considèrent comme la manifestation de Shiva. C'est un hindou qui ouvre la fête annuelle de l'urs. Pendant la fête beaucoup de fidèles apportent au tombeau des pots de terre contenant du henné, comme pour une épousée hindoue pour sa nuit de noce, et se l'appliquent en invoquant le dieu hindou de l'eau.

Comme le syncrétisme, l'hérésie a pignon sur rue : un derviche crie "Ali Allah ! Allah Ali !" -- Ali est Dieu, Dieu est Ali. Cet épouvantable blasphème lui coûterait sa tête ailleurs, mais à Sehwan personne ne semble être dérangé.

[L'Inde (sans Pakistan et Bangladesh) a aujourd'hui la troisième population musulmane au monde, plus de 150 millions, soit 13%. Spontanément et sans hésitation, un de mes collègues musulmans indiens aux US me disait qu'il se sentait plus libre dans son pays.]

Jadis, en Afghanistan, la tribu des Afridi n'avait aucun sanctuaire à vénérer. Ils incitèrent donc un saint notoirement pieux à venir habiter parmi eux. Puis ils lui tranchèrent la gorge, l'enterrèrent, et lui érigèrent un magnifique sanctuaire. Aujourd'hui cependant, les Talibans ont tendance à considérer le soufisme comme une idolâtrie. En Arabie éoudite, patrie du premier soufi (Mohammed bien sûr), les wahhabis ont détruit de nombreux vieux tombeaux de saints.

Tout cela ne fera pas automatiquement des soufis des alliés de l'Occident. Les gouvernements occidentaux sont un épouvantail pour la population. Le soufisme n'est pas uniforme. Des soufis d'une école conservatrice ont répandu le jihad, par exemple en Irak ; d'autres ont cependant été découragés par l'hostilité des fondamentalistes envers les saints soufis, et ont déserté. "Personne n'a le droit de dénigrer nos honorés saints de Dieu", affirme l'un d'eux, revenu d'Afghanistan après quatre mois chez les Taliban.

Pendant l'urs de Qalandar, on peut voir une armée d'hommes et de garçons, dénudés jusqu'à la taille, se frapper la poitrine en chantant un hymne funéraire au martyr chiite Hussein, tombé à Kerbala, ou se flageller jusqu'au sang avec des chaînes munies de lames de couteaux en criant le nom d'Ali, père de Hussein. Les autres pèlerins reculent ; certains semblent dégoûtés. Qalandar était chiite ; beaucoup de ses fidèles sont sunnites. Mais les tombeaux du Sindh, où vivent beaucoup de chiites, voient de plus en plus de manifestations sectaires comme celle-ci, signes d'une détresse face aux attaques de fondamentalistes comme les Talibans.

Les mystiques soufis, qu'ils soient orthodoxes ou populaires, subissent les assauts croissants des mollahs, amis des Talibans. Mais les rassemblements massifs dans les grands sanctuaires pakistanais suggèrent qu'ils ne disparaîtront pas de sitôt.

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