jeudi 1 janvier 2009

Soufismes - 1

"Normalement nous ne pouvons pas connaître Dieu. Mais nos saints, ils ont cette connaissance."
Le soufisme populaire, mêlant le mysticisme islamique classique à l'hindouisme et aux croyances populaires, est un aspect majeur de l'islam dans le sous-continent indien.

Le sévère légalisme des Taliban et d'autres fondamentalistes y sont dans une phase ascendante, mais seule une minorité les suit. La plupart des 450 millions de musulmans au Pakistan, en Inde et au Bangladesh -- presque un tiers du monde islamique -- pratiquent une foi plus tempérée, plus tolérante, encore teintée superstitions pré-islamiques. Cette foi est fortement influencée par le soufisme, une tradition musulmane ésotérique et (théoriquement) non sectaire, suivie strictement par un nombre beaucoup plus réduit d'initiés. Dans sa forme populaire, le soufisme s'exprime principalement par la vénération des saints, y compris des mystiques autoproclamés, canonisés par leurs disciples.

Des monuments grands et petits sont érigés autour des tombeaux des saints. L'essence divine du saint, ou baraka, émane de sa tombe. "Physiqument, nos saints meurent. Mais l'esprit est toujours ici, parce qu'ils ont atteint l'éternité." Pour chaque grande tombe attirant une masse de pèlerins, il y a des milliers de petits sanctuaires, au bord des routes, dans les rues de Delhi, ou dans les déserts du Sindh. Par exemple telle petite tombe à l'entrée d'une ville, une cabane dont la gardienne conseille aux automobilistes de donner un peu d'argent pour s'attirer les faveurs du saint (qui selon elle lutte avec l'Indus pour l'empêcher de changer de cours, mais peut aussi provoquer des accidents de la route s'il est en colère).

A Sehwan Sharif, au tombeau de Qalandar, un des saints pakistanais les plus connus, a lieu chaque année une fête à laquelle assistent des centaines de milliers de fidèles, pour l'anniversaire de la mort du saint. Cet événementest appelé l'urs ou nuit de noces de Qalandar, c'est-à-dire son union avec Dieu : trois jours d'une orgie de musique, de dance et d'ivresse, littéralement et spirituellement. Devant le tombeau de Qalandar, les pèlerins s'excitent jusqu'à l'extase. Secouant leurs longs cheveux noirs, une douzaine de prostituées de Karachi ou Lahore ont une place réservée près de la porte dorée du tombeau ; elles dancent une jigue furieuse, le dhammal, faite de sauts rhytmiques d'un pied sur l'autre, typique des fidèles de Qalandar. Des centaines de gens dancent sur un lourd rythme de tambour. L'air est chaud et humide de sueur, adouci par une senteur de pétales de rose et de hachich. De nombreux paysans amènent en offrande au saint un linceul magnifiquement brodé par une épouse ou une mère ; ils prient le saint de leur accorder une bonne récolte, ou un enfant. Pour les fakirs de Qalandar, souvent vagabonds à plein temps, l'urs est une occasion fantastique pour manger, dancer et fumer de la dogue. Les sanctuaires soufis attirent aussi les prostituées, y compris des transexuels, non seulement à cause de la tolérance du soufisme face aux pécheurs, mais aussi parce que c'est un bon endroit pour pécher.

Le gardien du sanctuaire de Qalandar est franc quant à ses responsabilités : "Guider les gens et gagner de l'argent." Favorisés par les Moghols et les Britanniques, les gardiens de sanctuaires, en particulier ceux qui se disent descendants de saints, sont encore parmi les plus grands propriétaires terriens (malgré les nationalisations depuis les années 60). Leur influence politique est importante aussi.

Ce titre héréditaire est l'occasion de nombreuses querelles. Plusieurs douzaines de familles de la ville affirment être les vrais gardiens du sanctuaire. L'un des prétendants a établi sa boutique non loin du sanctuaire. Quand cet homme barbu et chargé d'amulettes entre dans la petite pièce, les fidèles se jettent à ses pieds. Grommelant, frappant à l'occasion un pèlerin qui lui écrase les orteils, il dispense ses bénédictions parmi eux. "Dieu t'aidera", grogne-t-il, distribuant des petits fils de coton bénis à l'avance, ou un bout de papier sur lequel sont grifonnés des versets coraniques.

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